Qui aurait cru que des siècles après l’abolition de l’esclavage et plusieurs décennies après l’indépendance des pays d’Afrique et l’abolition de l’apartheid, assumer ses cheveux crépus serait un acte de revendication ? Comme quoi être une rebelle dans cette société ne tient à pas grand-chose. Je tenais à partager avec vous le cheminement que je fais avec mes cheveux pour être en accord avec mes origines africaines.
Il faut souffrir pour être belle
Avant l’année 2011, j’étais abonné aux défrisants, tissages, tresses et tout ce qui pouvait faire « beau », « propre » et facile à coiffer. Je dis volontairement « beau » et « propre », car c’est ce que les personnes noires ont tendance à associer aux chevelures lisses, brillantes, et longues. Je me souviens, tous les 2-3 mois depuis la primaire je passais par la case défrisant. Je suis passée de la version pour enfant avec les produits qui sentaient souvent le bonbon à la version super destinée aux cheveux durs à lisser. Pour aggraver le tout, je le laissais poser sur ma tête bien plus longtemps que ce que conseillait la notice. Dans le documentaire « Good Hair » fait par Chris Rock, Ice T raconte très bien ce que l’envie d’avoir des cheveux ultra lisses peut faire faire. On laisse le défrisant jusqu’à ce que parfois notre crâne brûle, et ceci juste pour maximiser nos chances d’avoir des cheveux qui bougent quand le vent souffle. Je vais vous faire une confidence, j’ai toujours voulu savoir ce que ça faisait de passer les doigts dans ses cheveux sans que ma main ne reste emprisonnée. Et au-delà de ça, je voulais des cheveux lisses parce que j’ai beaucoup pratiqué la danse et je trouvais que celles qui ajoutaient des mouvements de cheveux avaient un truc en plus.
Le défrisage chez les Noirs Américains
« Lorsque l'homme est en face de lui-même, c'est l'autre qui lui fait face.[…] La nature, dans la mesure où elle se distingue encore concrètement de ce sens secret qui est caché en elle, est le néant […]Elle n'a pas de sens, ou elle n'a que le sens de son extériorité qui doit être supprimée. »Karl Marx, Manuscrits de 1844, 1844Source: "Good Hair", documentaire de Chris Rock
Publié par BHÛ sur dimanche 9 juillet 2017
Se faire belle, ça se paye
Malheureusement, tout ceci a eu un prix, celui d’un crâne bien abîmé, parfois même brûlé et des cheveux se rapprochant de la texture d’une crinière de cheval à l’époque. Vous auriez pu m’appeler Crin-blanc. Les personnes qui me tressaient disaient même que mes cheveux leur blessaient les mains et parfois elles refusaient de me coiffer si je ne les avais pas défrisés auparavant.
Heureusement, un jour une personne de ma famille m’a ramené à la raison. Elle regardait énormément de vidéo de nappy (contraction de natural et happy) et me racontait comment nous pouvions prendre soin de nos propres cheveux. Ça m’a convaincu de m’occuper de mes cheveux au lieu de m’occuper de ceux d’une tête que je ne connaissais pas. Je ne peux que la remercier de m’avoir fait découvrir ma vraie nature.
Chassez le naturel, il revient au galop
J’ai fini par arrêter de maltraiter mes cheveux et au lieu de ça d’apprendre à les connaître et les respecter. J’ai d’abord dû passer par une coupe courte (big chop) afin de me débarrasser de toutes les longueurs défrisées. Je prends souvent des décisions de manière impulsive et là c’en était une. La seule raison qui m’a fait ne pas regretter d’avoir agi de la sorte c’est le documentaire « Good Hair ». Âmes sensibles qui me lisez et qui souhaitez continuer à porter vos faux cheveux en paix, ne regardez pas ce documentaire. Vous ne voulez pas savoir d’où viennent vos tissages, quels traitements ils subissent et pour quelles raisons ils atterrissent sur votre tête. Arrêtez de lire ce paragraphe si vous souhaitez continuer à faire les innocentes. SPOILER : En résumé. Concernant les cheveux indiens, c’est la population qui les donne en offrande à leur temple pour que leurs souhaits soient exaucés. Il existe aussi une tonte de cheveux des bébés. Ensuite, ils sont traités, démêlés et triés avant d’être vendus et de se retrouver sur le crane des gens aux quatre coins du monde. J’espère sincèrement que leurs souhaits sont exaucés sinon c’est une pure arnaque. Dommage !
«J'ai dépensé à peu près 150 000 $ en tissage dans toute ma vie»
« Comme l'argent, qui est le concept existant et se manifestant de la valeur, confond et échange toutes choses, il est la confusion et la permutation universelles de toutes choses, donc le monde à l'envers, la confusion et la permutation de toutes les qualités naturelles et humaines. »Karl Marx, Manuscrits de 1844, 1844Source: "Good Hair", documentaire de Chris Rock
Publié par BHÛ sur jeudi 6 juillet 2017
Rebelle malgré moi
Ce que je ne savais pas en osant accepter ma texture naturelle de cheveux c’est que j’allais passer du côté obscur de la force. Ma propre communauté a été la première à me faire des remarques et me lancer des regards dédaigneux. Qu’est-ce qu’il t’a pris, tu ressembles à un garçon ! Pourquoi tu ne fais pas un tissage ? Avant d’aller à un mariage, on m’a même demandé comment j’allais me coiffer. Traduction : tu ne comptes pas laisser tes cheveux comme ça quand même ? Mind your own business b**** . Au 21e siècle accepter ses cheveux et le faire savoir c’est un acte de revendication. WTF ??? Une simple coupe s’est transformée en poing levé. Nous sommes les black panthers des temps modernes. Garder ses cheveux naturels revient à dire « je suis noire et je vous em***** » alors que tout ce que je voulais c’est apprendre à les aimer. Mais après tout, est-ce que je suis en droit d’en vouloir à des gens qui n’assument pas ce qu’ils sont, je l’ai fait pendant tellement d’années ? Maintenant, je peux me féliciter d’avoir été assez forte pour me foutre de ce que pensent les autres même si sur le moment je n’avais pas réfléchi à mon acte ni à ce qui allait être un acte de rébellion involontaire.
Les réactions WTF
Depuis des années, je n’arrête pas d’entendre des questions stupides, des remarques chelou et des réactions qui méritent réflexion ou punition. Voici quelques’unes d’entre elles.
Tes cheveux, on dirait de la paille.
T’as les cheveux trop bizarres me disent certaines noires. J’ai envie de leur dire que c’est plutôt elles qui ne se souviennent pas des leurs. L’amnésie les a touchées, trop d’années à fréquenter les cheveux internationaux (indiens, brésiliens, péruviens, malaisiens…) et synthétiques et hop on ne sait plus à quoi ressemblent les siens. Si ça se trouve, c’est même des cheveux africains bien entretenus qu’elles portent.
Tes cheveux on dirait de la mousse.
Haha tes cheveux ressemblent à… tu sais… les fausses toiles d’araignées qu’on a à Halloween. (Seriously girl ?)
Je peux toucher ? (Tu m’as pris pour un animal de foire ou quoi ?)
Et le pire, c’est quand la personne envoie directement la main dedans. La tu te demandes si elle a perdu la tête ou si elle a envie de se faire frapper. Je me souviens d’une fille de ma classe qui m’avait seulement connue avec des tresses et quand je les ai enlevées la première personne a laquelle j’ai pensé c’est elle. Elle et sa curiosité enfantine. Quand je suis arrivée en cours, j’ai vu son regard pétiller et un grand sourire s’affichait comme si elle avait vu le père Noël. J’ai très vite compris que la seule chose qui l’intéressait à ce moment c’était de passer sa main dans mes cheveux. Non ! c’est tout ce que j’ai dit et elle m’a bien compris vu qu’elle a demandé pourquoi.
Tu comptes te faire coiffer quand ?
On dirait une villageoise.
Ah non, mais t’es courageuse ! Laisser mes cheveux comme ça je peux pas.
T’as pas envie de les défriser ?
Dans un salon de coiffure spécialisé dans les cheveux afros, je demande qu’on me coupe les pointes sèches et un petit soin hydratant et elle me propose son super soin à base de kératine qui va lisser mes cheveux. J’insiste sur le fait que je veuille garder les boucles de mes cheveux et simplement couper les pointes, mais elle continue. Elle me reprend en disant que j’ai les cheveux crépus et que donc je n’ai pas de boucles. Je lui explique que certes ce sont de petites boucles, mais des boucles quand même pour bien lui faire comprendre que ce que je veux c’est juste un soin qui va permettre de mieux les définir. Avec son air hautain, elle insiste sur le fait que mes cheveux sont crépus et ternes. Elle croyait que je voulais me la raconter ou quoi ? Qu’est ce que j’aurais à gagner à vouloir à tout prix appeler mes cheveux bouclés et non pas crépus ? Je suis repartie de son salon avec l’intention de ne jamais revenir. Une coiffeuse qui prend de haut mes cheveux crépus ne les touchera jamais.
Face à tout ça, heureusement que j’ai également reçu des compliments venant de personnes qui considéraient que mes cheveux naturels étaient beaux.
Au salon boucles d’ébène, la responsable du stand des produits Aullyn m’a dit que j’avais de très beaux cheveux, moi qui pensait qu’ils faisaient partie des cheveux crépus les moins beaux à cause de leur apparence cotonneuse. Mais si la spécialiste le dit, c’est que c’est vrai. Qu’il en soit ainsi, mes cheveux sont beaux et je dois en prendre bien soin. Attention Amazon et le porte-monnaie, j’arrive !
Je suis fière de vous voir porter vos cheveux crépus, c’est beau à voir, me dit un monsieur à l’allure rasta.
Vous voyez on est tellement loin de ça que quelque chose qui devrait être considéré comme normal en vient à émouvoir certaines personnes.
Re-belle avec les cheveux naturels
Les tissages rapprochent du modèle européen tant recherché.N’avez-vous pas remarqué que beaucoup de célébrités noires qui portent de faux cheveux raides et parfois éclaircissent leur peau, ont beaucoup de succés? À l’inverse, quand on ose sortir ses cheveux crépus peu importe si notre coupe est travaillée et jolie, on a tendance à nous demander pourquoi on se néglige et quelle sera notre prochaine coiffure. J’ai décidé de m’en foutre, je suis née comme ça, ce qui compte c’est ce que l’on pense nous. Si j’étais belle avec des cheveux empruntés, volés, achetés, peu importe, avec mes cheveux crépus je suis re-belle. Je les assume pleinement et sans honte et je suis contente d’être arrivée à ce point où l’on ne cherche plus à correspondre à un standard. Certes, j’adore toujours autant le mouvement du bouge tes cheveux des Européennes et des Asiatiques, mais mes cheveux n’en sont pas moins jolis. Ils sont différents, j’aime le lien que je noue avec eux et mon émerveillement quand je vois qu’un produit utilisé leur fait du bien. De plus, ils ont l’avantage d’être confortables pour les têtes qui s’y adossent. 🙂
Mes standards de beauté ont changé et se rapprochent de ce qu’ils auraient toujours dû être : des femmes africaines bien dans leur peau. Je n’ai pas l’intention de m’éclaircir la peau ni de faire une rhinoplastie alors pourquoi vouloir des cheveux similaires aux cheveux européens ?
Réveillez-vous et rebellez-vous
Mère, fille, amie, grand-mère, ne vous laissez pas influencer par la société qui montre que la beauté est blanche, aux cheveux long et lisse, un corps fin et galbé. Ouvrez grand les yeux si c’était le cas il y a longtemps, de nos jours les médias nous montrent de plus en plus la diversité des corps qui existent sur cette planète. Des célébrités comme Solange Knowles, Lupita Nyongo, Chantelle Brown… montrent que l’on peut être soi même et être accepté, être noire foncé, albinos, avoir les cheveux crépus, bouclés et être aimé quand même. Alors, arborez fièrement vos particularités. Montrez au monde que chacun a sa place sur cette terre, que nous sommes tous pareils en étant tous particuliers à la fois. L’amour de soi et l’estime de soi doivent être inculqués très jeune, car plus l’on grandit plus il est difficile de l’acquérir. Ne cessez pas de répéter aux enfants à quel point ils doivent être fiers de qui ils sont.
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